Alors que les sanctions occidentales devaient isoler la Russie, Moscou a su réinventer ses relations économiques avec l’Afrique. Entre investissements stratégiques, contournement des sanctions et diplomatie des matières premières, le Kremlin construit pas à pas une « RussAfrique » économique.
Une présence russe qui se structure
Après deux décennies de déclin post-soviétique, la Russie a relancé ses échanges avec l’Afrique à partir des années 2010. En 2021, le volume commercial atteignait 22 milliards de dollars, porté par les ventes d’armes (40 à 50 % du marché africain), les hydrocarbures et les engrais. Des entreprises comme Lukoil, Rosneft et Alrosa ont investi massivement dans les secteurs miniers et pétroliers, notamment au Zimbabwe, en Angola et dans le golfe de Guinée.
Pourtant, cette expansion n’a pas été sans heurts. Plusieurs projets ont échoué, comme ceux de Gazprom au Mozambique ou de Rosneft en Angola et au Gabon, révélant les limites du modèle économique russe en Afrique.
L’impact des sanctions : repli ou adaptation ?
Les sanctions occidentales imposées depuis 2022 ont porté un coup dur aux ambitions russes. Plusieurs groupes ont dû se retirer, comme Vi Holdings au Zimbabwe ou Nornickel en Afrique du Sud. Les partenariats se sont effrités, à l’image d’Alrosa en Angola ou de Lukoil au Cameroun.
Mais Moscou a réagi en développant des circuits parallèles. Les Émirats arabes unis sont devenus une plaque tournante pour le commerce du pétrole et de l’or russes. Des « flottes fantômes » de tankers alimentent désormais les ports africains en pétrole à bas prix, tandis que l’or extrait par des sociétés comme NordGold ou des milices liées au groupe Wagner transite par Dubaï.
La diplomatie du blé et des engrais
Face aux difficultés économiques, la Russie a mis en place une diplomatie des matières premières. En 2024, Moscou a livré gratuitement du blé et des engrais à des pays alliés comme le Mali, le Burkina Faso et le Zimbabwe. Ces dons ciblés lui permettent de maintenir son influence, notamment dans les régions en crise alimentaire.
Parallèlement, le Kremlin multiplie les annonces de grands projets énergétiques, comme des centrales nucléaires avec Rosatom ou des raffineries au Soudan du Sud. Mais derrière les déclarations ambitieuses, peu de projets se concrétisent, faute de financements suffisants.
Pourquoi l’Afrique joue le jeu
Malgré les limites évidentes de ce partenariat, de nombreux pays africains continuent de collaborer avec Moscou. Certains, comme le Mali ou la Centrafrique, y voient une alternative à l’influence occidentale. D’autres, comme la Guinée-Bissau ou le Zimbabwe, manquent simplement d’options crédibles.
« La Russie offre ce que l’Occident ne propose plus : des partenariats sans conditions politiques strictes », explique un diplomate africain sous couvert d’anonymat.
Quel avenir pour la RussAfrique ?
Si les sanctions ont ralenti l’expansion économique russe en Afrique, elles ne l’ont pas stoppée. Moscou a su s’adapter en misant sur des secteurs clés (énergie, sécurité, matières premières) et en exploitant les failles du système financier international.
Mais cette relation reste fragile. La dépendance aux intermédiaires comme les Émirats, les capacités financières limitées de la Russie et les attentes croissantes des pays africains pourraient, à terme, remettre en question ce partenariat déséquilibré.
Une chose est sûre : dans la nouvelle guerre froide économique qui se joue en Afrique, la Russie entend bien conserver sa place.
Source : IFRI – Institut français des relations internationales
https://www.ifri.org/fr/briefings/les-effets-contradictoires-des-sanctions-occidentales-sur-les-relations-economiques-russo