Au Sénégal, la cohabitation entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko n’a jamais semblé aussi fragile. Officiellement alliés depuis leur victoire fulgurante de 2024, les deux hommes se retrouvent aujourd’hui enfermés dans un bras de fer politique aux allures de guerre froide. En ligne de mire, un enjeu explosif : l’élection présidentielle de 2029, qui cristallise désormais toutes les tensions au sommet du pouvoir.
Selon des informations qui circulent dans l’entourage de Sonko depuis juillet, Diomaye Faye aurait discrètement sollicité l’avis du Conseil constitutionnel concernant l’éligibilité de son propre Premier ministre. Une démarche jugée hautement suspecte par les fidèles de Sonko, encore marqué par sa condamnation pour diffamation envers l’ex-ministre Mame Mbaye Niang. Cette condamnation, assortie d’une inéligibilité de cinq ans, pourrait le priver une nouvelle fois de la course suprême en 2029 — une perspective impensable pour son camp.
L’irritation est d’autant plus vive que Faye refuse jusqu’ici de faire usage de son droit de grâce, ce qui aurait pu effacer les obstacles juridiques de Sonko. Pour beaucoup, le président cherche à se ménager un espace politique personnel, loin du pacte fondateur qui les liait : le fameux « protocole du Cap Manuel », un accord tacite conclu avant leur sortie de prison en 2024. Ce pacte prévoyait que Diomaye n’effectuerait qu’un seul mandat, avant de céder la place à Sonko. Aujourd’hui, plus personne ne semble croire à ce scénario.
L’escalade s’est accélérée lorsque Diomaye Faye a limogé Aïda Mbodj, jusque-là patronne de la coalition présidentielle, le 11 novembre. Un geste interprété comme un affront direct à Sonko, qui venait tout juste d’apporter un soutien public à l’ancienne ministre. Le PASTEF, parti fondé par Sonko et dont est issu le président, s’est aussitôt insurgé, affirmant que Faye n’avait pas le pouvoir légal de démettre Mbodj.
Au sein du parti, les critiques se multiplient. Plusieurs cadres soupçonnent le président de vouloir bâtir sa propre base politique, en multipliant les rapprochements avec de petits partis et en s’entourant de personnalités issues de l’ère Macky Sall — un geste considéré comme hérétique par les orthodoxes du mouvement.
La méfiance ne s’arrête pas là. La première dame, Absa Faye, est elle-même scrutée de près : certains pointent ses liens familiaux avec Omar Youm, un ancien ministre influent de Macky Sall. Dans un climat où les supporters de Sonko rêvent de voir l’ex-président traduit en justice, cette proximité réveille toutes les suspicions.
Face à cette crise qui menace la cohésion du pouvoir, les appels à une médiation se multiplient. Des personnalités respectées comme le défenseur des droits humains Alioune Tine, l’homme d’affaires Pierre Goudiaby Atepa, ou encore El Malick Ndiaye, président de l’Assemblée nationale, pourraient être appelées à jouer les arbitres.
Mais pour l’heure, la tension reste vive. Officiellement en repos, Ousmane Sonko s’est mis en retrait jusqu’au 21 novembre, laissant le gouvernement sous l’intérim de la garde des Sceaux, Yacine Fall. Dans les coulisses, chacun prépare déjà la suite. Car derrière les sourires officiels, une certitude émerge : la bataille de 2029 est désormais lancée — et elle pourrait faire imploser l’alliance la plus inattendue de l’histoire politique du Sénégal.



