Il y a cinq ans, le 18 août 2020, l’histoire du Mali basculait : les militaires renversaient le président Ibrahim Boubacar Keïta au nom de la lutte contre la corruption et du combat contre le jihadisme. Deux coups d’État plus tard, une transition confisquée par le colonel Assimi Goïta et son entourage, un climat sécuritaire toujours plus délétère… le pays s’interroge : que reste-t-il des promesses de la junte ?
La question résonne d’autant plus que, la semaine dernière, Bamako a annoncé l’arrestation d’au moins 55 militaires accusés de complot. Un « coup d’État dans le coup d’État », analyse Oumar Berté, chercheur associé à l’Université de Rouen, qui y voit un signe inquiétant de fractures internes au sein de l’armée malienne. Le malaise est d’autant plus fort que le pays reste confronté à des attaques jihadistes dans toutes ses régions, du nord au sud, jusqu’à Bamako même où l’avion présidentiel a récemment été détruit lors d’une offensive coordonnée.
L’affaire a pris une dimension internationale avec l’implication supposée d’un Français, Yann Vézilier, accusé d’espionnage par Bamako et présenté par Paris comme un simple membre de l’ambassade. « C’est un classique : chaque fois que la junte est en difficulté, elle met en cause la France », rappelle Berté, soulignant ce bras de fer permanent qui nourrit le discours souverainiste des autorités.
Sur le terrain militaire, le bilan est contrasté. La reprise de Kidal aux rebelles, aux côtés des mercenaires du groupe russe Wagner, avait marqué un tournant. Mais depuis, les défaites se sont multipliées, jusqu’au départ de Wagner en juin dernier. Son remplaçant, Africa Corps, piloté directement par l’État russe, hérite d’un champ de bataille instable et d’enjeux miniers colossaux. « Wagner a échoué, la Russie cherche désormais à contrôler elle-même l’équation militaire et économique », analyse le chercheur.
À cela s’ajoute un net recul démocratique : partis politiques dissous, médias muselés, libertés publiques réduites à peau de chagrin. La bascule, selon Berté, remonte à 2021, lorsque Goïta s’est autoproclamé président de la transition. Depuis, la junte gouverne sans complexe, verrouillant l’espace politique et réduisant les contre-pouvoirs au silence.
Sur le plan régional, l’Alliance des États du Sahel (AES), créée avec le Burkina Faso et le Niger après la sortie fracassante de la CEDEAO, peine à convaincre. « En dehors de quelques réunions et d’une coopération militaire limitée, l’AES ne dispose ni de fonds, ni de stratégie concrète », souligne Oumar Berté. Une union plus politique que pratique, où la solidarité affichée peine à masquer l’absence de résultats tangibles.
Cinq ans après la chute d’IBK, le Mali reste donc pris dans une équation paradoxale : plus souverainiste que jamais, mais plus isolé, affaibli par la persistance des violences, la fragilité de ses alliances et la dérive autoritaire de ses dirigeants.